Le temps presse ! les crises s'accumulent, signons !
Cela fait des années que les analyses de Pierre Calame pointent le risque d'impasse qui s'est montrée à l'évidence dans ces semaines passées.
Nos concitoyens sont déboussolés par toutes les difficultés
rencontrées, les injustices sont de plus en plus criantes, on s'enfonce sans
rien faire dans la crise climatique, les services locaux ont disparu dans
beaucoup de nos campagnes, l'agriculture va de crise en crise sous la pression
de l'agro-industrie et de l’agro-chimie, la course au "produire plus"
s'est révélée une supercherie, les situations stressantes dans le travail se
multiplient, la santé et l'éducation sont négligées par les dirigeants
politiques, les excitations au racisme et au refus de l'autre se multiplient,
les jeux des politiciens exaspèrent...
D'abord signer en masse l'appel à des États généraux de la France pour décider nos institutions d'en encadrer la mise en œuvre :
Dans nos démocraties nous avons craint la dictature des hommes mais nous subissons la dictature du temps. L’obsession de l’alternance, l’illusion d’agir en multipliant les projets de loi, la succession de campagnes électorales, les programmes politiques bâtis sur un coin de table, la centralisation des initiatives et des décisions ont créé autant d’obstacles à une association profonde des citoyens à la définition et la mise en œuvre des politiques comme à la réflexion de fond sur l’économie, la gestion des affaires publiques, l’insertion de la France et de l’Europe dans un monde en pleine mutation. On continue sur la lancée de modes de pensée et de modes de gouvernance hérités des siècles passés pour relever les défis du vingt et unième.
La méfiance à l’égard du monde politique n’a jamais été aussi grande et la paresse ou le conformisme intellectuels des élites politiques ont fait le lit du Rassemblement national. Vers quelque sujet majeur que l’on se tourne ce déficit de réflexion est patent, remplacé par une frénésie législative, trouble obsessionnel compulsif de la démocratie. Elisabeth Borne se félicitait récemment d’avoir, malgré l’absence de majorité absolue, été en mesure de « faire passer » soixante textes en deux ans. Chapeau l’artiste mais qui a eu le temps dé véritablement ingurgiter autant de textes ?
Depuis les résultats du second tour des élections législatives, les grandes manœuvres sont lancées pour construire une majorité au sein d’une Assemblée nationale. Or cette majorité est arithmétiquement introuvable. Alors une crise de régime ? un pays ingouvernable ? Non ! selon moi une chance historique pour la France au contraire. Mettons à profit ce répit à la frénésie normative pour organiser une vaste réflexion collective permettant à notre pays de redéfinir sa place dans un monde interdépendant en pleine mutation et surtout de le faire en associant à cet effort toutes les forces vives du pays par une démarche inclusive de dialogue, de confrontation sereine des différentes transformations structurelles à entreprendre, en recherchant le noyau dur des faits et des convictions partagées plutôt que les différences permettant de se singulariser.
Les réalités du monde ont évolué beaucoup plus vite que le cadre conceptuel et institutionnel hérité du passé et le décalage ainsi créé peut être mortel pour notre pays et pour le monde. Il est temps d’organiser, avant que la perspective des élections 2027 n’absorbe à nouveau les énergies, les États Généraux de la France, comme notre pays l’a fait au cours des siècles chaque fois qu’il s’est trouvé dans une impasse. Faisons le pari que cette démarche inclusive sera si riche qu’elle inaugurera pour notre pays l’ère de la démocratie permanente, créera l’habitude, face à de nouveaux défis, de réfléchir ensemble, sereinement, inclusivement, avant que chacun ne se positionne. En un mot, fera prendre conscience de ce que la politique doit être avant tout : une éthique, de l’écoute mutuelle et de l’objectivité ; et une méthode, d’élucidation des enjeux, de délibération et de recherche de solutions conciliant au mieux les attentes diverses de la société.
Quel sera le champ de ces États généraux ? Il faut éviter de disperser la réflexion collective en de multiples thèmes et aller à l’essentiel. La question centrale est le changement d’ère : après trois siècles de la première modernité, qui a bouleversé le monde mais provoqué une formidable crise des relations, nous devons inaugurer une seconde modernité où nous réinventerons les relations entre humanité et biosphère, entre les personnes, entre les sociétés.
Il en découle les quatre grands défis qui définissent le champ des États généraux :
-repenser l’économie dans un monde interdépendant aux ressources limitées ;
-repenser la gouvernance à tous les niveaux, du local au mondial, et les conditions d’exercice de la démocratie à ces différents niveaux ;
-redéfinir nos valeurs communes par un juste équilibre entre droits et responsabilités mutuelles ;
-repenser les relations entre les sociétés au sein d’une communauté de destin de l’humanité.
Et les réponses apportées à ces défis devront se concrétiser par la réforme structurelle d’un certain nombre de grandes politiques : la santé, l’éducation, la lutte contre le réchauffement climatique, le développement économique, les migrations, la citoyenneté...
Quelles en seront les méthodes ? On peut retenir six principes de délibération et d’élaboration de nouvelles perspectives :
1. Une délibération à multiniveaux, une démarche de bas en haut, en commençant par des dialogues à l'échelle des bassins de vie et territoires : là où les acteurs ne sont pas des abstractions mais des personnes en chair et en os ; là où chacun peut se référer à des réalités connues de tous ; là où l'on peut mesurer les effets sur la vie de tous les jours des grandes évolutions qui s'opèrent à l'échelle mondiale.
2. La création, dès le début de tout processus de réflexion collective d’une très solide base de connaissances pour que chacun dispose de toutes les données nécessaires et du meilleur de la réflexion.
3. L'expression de la diversité des points de vue, en particulier en invitant les différents milieux socioprofessionnels à apporter leurs propres contributions.
4. Le recueil et l’analyse en commun des expériences les plus significatives, en particulier en provenance d’autres pays et d’autres continents, pour en dégager si possible des principes directeurs généraux.
5. L’élaboration de propositions de façon pluraliste. Passer de l'analyse à des propositions constitue toujours un saut important. Il est plus aisé de se présenter en analyste intelligent qu’en promoteur de propositions audacieuses ! d'où la nécessité, dans les dynamiques collectives, d’inviter les différents groupes concernés par un sujet à rédiger des « cahiers d'espérance » libérant l'imagination.
6. Le passage des propositions à des stratégies concrètes de changement, les phases de transition étant toujours plus difficiles à concevoir que des lendemains qui chantent.
Mettons-nous en route. Comme le dit le proverbe, « donnez-leur une tour à construire et vous en ferez des frères ». Cette tour, c’est notre avenir. La construire nous redonnera le sens de la fraternité.